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L'epopee des "Monologues du vagin"


Originally published in:
Le Monde
07/07/2008

http://www.lemonde.fr/culture/article/2008/07/09/l-epopee-des-monologues...

Comme chaque année, la pièce Les Monologues du vagin est à l'affiche du Festival "off" d'Avignon.

L'auteure de ce succès planétaire, Eve Ensler, s'est entretenue avec plus de 200 femmes avant d'écrire la pièce, qu'elle considère comme un recueil de témoignages. Cette Américaine tient donc à ce qu'il y ait au moins trois actrices sur scène. L'une raconte tandis que les autres écoutent, le texte à la main. De monologue en monologue, chaque femme va ainsi tour à tour égrener une histoire intime. C'est souvent drôle, parfois grave, voire atroce. Chaque texte est court. On ne s'attarde jamais.

Jouée régulièrement en France, la pièce a accueilli depuis 2000 plus de 700 000 spectateurs. Et ce n'est pas fini. Elle est à l'affiche à Paris, depuis août 2007, et se prépare à partir en tournée en région. Bien sûr, la distribution évolue. La liste des actrices s'allonge au fil du temps. A Fanny Cottençon, la première à avoir eu le courage de se lancer, toute seule, ont succédé Isabelle Aubret, Maimouna Gueye, Lisette Maldoror, Eva Darlan, Stéphanie Bataille, Nicole Calfan, Sonia Dubois et Aurore Auteuil.

"FORCE ET FRAGILITÉ"

Pourtant, la productrice, Marie-Cécile Renaud, a eu du mal au début à monter cette pièce. Alors agent littéraire et de théâtre, elle cherchait des auteurs. Après avoir vu la pièce à New York, elle s'est renseignée sur les droits. A sa grande surprise, vu le succès de la pièce depuis 1996, ils n'étaient pas encore pris. Elle a donc pu les acheter pour l'Europe et le Canada francophones. Les ennuis ne faisaient que commencer. Car la pièce faisait peur. Elle a d'ailleurs été créée en Belgique avant d'être jouée en France, où certaines villes de province refusent de la programmer.

Des actrices choquées au début ont souvent fini par s'impliquer, comme Micheline Dax, qui a joué la pièce pendant six mois, mais reconnaît volontiers qu'elle a mis six ans avant d'aller la voir. "J'appelais ça Les Monologues du machin. C'est un ami qui m'a tendu un piège, et ce n'était pas ce que j'imaginais. C'est difficile à jouer, ce n'est pas vraiment une pièce, mais c'est formidable d'être sur scène entre femmes. Alors, même si je n'étais pas à l'aise pour dire que j'aime les femmes, tant qu'on ne me demande pas de le mettre en pratique..."

Il est vrai que le mot vagin revient 123 fois pendant un peu plus d'une heure. "J'étais comme tout le monde rebutée par le titre, explique la romancière Geneviève Brisac, qui a participé le 19 mai à une représentation impliquant des femmes venues du monde du livre (écrivaines, éditrices, libraires...). Je redoutais une certaine violence, de la vulgarité, je disais "Les Monologues", sans plus... Ce n'est pas naturel dans un pays latin de prononcer ce mot-là. Mais j'ai été bouleversée par le contraste entre la force et la fragilité, cette notion de violence complètement retournée qui lève le tabou de la violence contre les femmes. Ce qui frappe, c'est cette frontalité, cette accumulation de données révélatrices."

Parmi les 32 femmes présentes ce soir-là, Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, "recrutée" par la metteuse en scène et actrice Stéphanie Bataille et qui a accepté "sur un coup de tête". "J'ai eu un trac incroyable, dit-elle, parce que ce n'est pas la même chose de monter sur scène avec ce texte que de faire un discours devant 1 500 personnes. Il m'a fallu faire un effort considérable, mais c'est que l'on demande aux victimes de passer au-delà de leur pudeur, de leur peur, de sortir du cadre établi, et, vu mes responsabilités, je ne vois pas pourquoi j'aurais refusé." Mais une autre histoire s'est greffée sur la pièce de théâtre. Une histoire qui s'appelle le V-Day (www.vday.org). Un mouvement international qui a pour objectif de lutter contre la violence faite aux femmes et aux filles dans le monde entier, à partir des bénéfices obtenus par les représentations des Monologues du vagin.

"UNE INCITATION AU COURAGE"

Depuis la création de cette association en 1998, des événements V-Day ont lieu partout dans le monde. Quelque 50 millions de dollars ont ainsi été consacrés à différentes formes d'action : création de foyers de femmes battues, écoles, maisons-refuges, etc. Le mécanisme d'un V-Day est simple et précis : chaque année, il suffit de s'inscrire sur le site américain, de choisir une date (en 2009, entre le 1er janvier et le 31 mars), de trouver une salle mise gratuitement à la disposition des participantes, de s'engager à ne payer personne et de trouver les volontaires. 90 % de l'argent récolté par la représentation sera remis à des associations locales et 10 % à la cause de l'année (en 2009, les femmes et les filles de la République démocratique du Congo).

L'argent ne transite donc jamais par les Etats-Unis, où V-Day a son siège, mais va directement à la région ou au pays concerné. Geneviève Robin, bretonne par amour, a organisé un premier V-Day à Brest en février 2004. Elle avait trouvé un théâtre de 200 places, 150 personnes sont restées dehors. Depuis, elle a trouvé plus grand. Il fallait aussi recruter les actrices d'un soir : 24 femmes de 21 à 72 ans, étudiantes, demandeuses d'emploi, députée, retraitée, agricultrice... six mois de travail préparatoire, non rémunéré bien sûr. Mais Eve Ensler s'est engagée à venir à Brest pour le V-Day de 2009.

Comme le résume Geneviève Brisac, "comme écrivaine, je conçois qu'il y ait des mots qui choquent les oreilles, mais la question est ailleurs, il y a un effet de transmission. On a envie d'emmener sa mère, sa fille, les hommes qui nous entourent. C'est un texte qui entraîne les gens vers l'utopie, la fraternité, l'amour. Et c'est avant tout une incitation au courage".

Martine Silber